« Je me suis demandé si je n’étais pas en train de franchir la ligne qui sépare un Casque bleu d’un soldat en guerre, et puis je me suis dit que l’enjeu était trop important ».
Général Hervé Gobillard
Sarajevo, Bosnie-Herzégovine, le 27 mai 1995.
Le capitaine François Lecointre, commandant de la 1ere compagnie du 3ème régiment d’infanterie de marine (3e RIMa), ne réalisait sûrement pas, lorsqu’il a fait la ronde de ses postes, qu’il allait vivre une journée qui allait définitivement changer l’implication des Casques bleus dans cette guerre des Balkans qui n’en finissait plus.
L’ONU tentait jusque-là de résoudre par tous les moyens une crise que la diplomatie n’avait malheureusement pas pu régler.
Cependant, imposer la paix sans tirer ou répliquer lorsque l’adversaire, lui, n’hésite pas n’est pas chose aisée.
Le pont de Vrbanja était un lieu hautement stratégique à Sarajevo. Les Casques bleus avaient pour mission de garder ce pont. En ce début de matinée du 27 mai 1995, le capitaine Lecointre tenta de contacter ces hommes : silence radio.
Il comprit rapidement que quelque chose s’était passé durant la nuit. Effectivement, des Serbes qui étaient déguisés en Casques bleus occupaient désormais le pont de Vrbanja. La situation était catastrophique : 11 Casques bleus étaient pris en otage et les Serbes pouvaient dès lors envoyer leurs chars en quelques minutes dans le secteur bosniaque. Il fallait absolument réagir. L’heure n’était plus à la diplomatie. Une seule solution s’imposa : reprendre ce pont par la force.
L’opération était difficile car il était délicat de distinguer l’ennemi déguisé en casque bleu des vrais casques bleus. Sans aucune autorisation nationale ou internationale, le Général Gobillard prit la responsabilité d’organiser cette offensive : « OK, feu vert ! » : trois mots que le colonel Erik Sandahl entendit dans son combiné et qui allait définitivement faire prendre conscience à la communauté internationale qu’il est temps de passer à l’offensive.
Cet assaut sanglant est à ce jour le dernier assaut de l’armée française « baïonnettes aux canons ». Les Casques bleus parvinrent, au corps à corps, mètre par mètre, à reprendre la majeure partie du pont.
« Ne tirez plus, nous sommes Français ! »
Les cris des otages sonnèrent la fin de cette opération qui aura duré 40 minutes. Le même jour, les négociations aboutirent à l’évacuation du site des derniers Serbes et à la reprise totale des 65 mètres du pont qui enjambe la Miljacka.
Cet événement déclencha par la suite de multiples interventions comme le bombardement du 30 août et du 20 septembre 1995 de l’OTAN sur l’armée de la République Serbe de Bosnie.
Cette victoire aura coûté la vie à deux marsouins : Marcel Amaru et Jacky Humblot. 17 soldats Français furent blessés durant l’action. Le président Jacques Chirac déclara : « Les marsouins Amaru et Humblot sont morts pour une certaine idée de la France, une France qui refuse de s’abandonner à la fatalité et à l’irresponsabilité. »
Au total, 84 Casques bleus Français sont morts en Bosnie. Près d’un quart de siècle plus tard, l’AISP n’a pas oublié le courage de ces hommes.
Ecrit par Jocelyn Amenabar, stagiaire à l’AISP / SPIA