Le 30 Juin 1908, M. Semenov était assis devant sa maison à Vanavara en Sibérie centrale. Il était environ 07h15, lorsqu’il vit le ciel « se fendre en deux » et « le feu apparaître loin au-dessus de la forêt ». Bientôt, tout le nord fut embrasé, et la chaleur était si intense que M. Semenov crut que sa chemise avait pris feu. Il voulut la retirer, mais fut projeté à plusieurs mètres lorsqu’un bruit intense se fit entendre. Puis la terre trembla « comme si une batterie de canon faisait feu »[1]. Au terme d’une longue série de flashs lumineux, d’explosions, et de souffles, l’événement de la Toungouska venait de se produire. À 1000 Kilomètres de là, une station sismique avait enregistré un séisme d’une magnitude proche de 5 sur l’échelle de Richter, lequel avait été ressenti jusqu’en Europe et aux Etats-Unis. Mais du fait de l’éloignement géographique et du contexte politique, ce n’est que bien plus tard que la catastrophe sera comprise comme résultant de la désintégration d’une comète dans l’atmosphère[2]. L’énergie libérée fut équivalente à l’explosion de 5 millions de tonnes de TNT.
C’est donc logiquement que le 6 décembre 2016, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution A/RES/71/90, déclarant le 30 juin Journée Internationale des Astéroïdes « afin de commémorer chaque année, au niveau international, l’anniversaire de l’explosion de Toungouska (Sibérie, Fédération de Russie) survenue le 30 juin 1908 et de sensibiliser la population aux risques d’impact d’astéroïdes.»[3].
L’objectif de cette journée est d’informer le grand public des mesures qui seraient prises pour assurer la communication de crise au niveau mondial en cas de risques crédibles liés aux objets géocroiseurs. À l’occasion de la première édition en 2017, la Directrice du Bureau des Nations Unies pour les affaires spatiales (UNOOSA), Simonetta Di Pippo, avait déclaré que « La coopération internationale est la meilleure façon de remédier à l’impact potentiel d’un astéroïde sur notre planète »[4]. Pour elle, cette journée est l’occasion de connaître les progrès technologiques en cours à travers le monde pour identifier et combattre les astéroïdes. Elle a en outre appelé à sensibiliser le public sur l’importance de la technologie spatiale « pour relever les défis mondiaux, peu importe d’où ils viennent et travaillons ensemble pour le bénéfice de toute l’humanité»[5].
Une menace relative mais réelle
Les astéroïdes sont des vestiges de la formation du système solaire. Essentiellement composés de roches et de métaux (ou de glace dans le cas des comètes), leurs trajectoires les amènent parfois à croiser la course de la Terre avec un risque plus ou moins élevé de collision. On parle de géocroiseurs lorsqu’ils passent à moins de 45 millions de kilomètres de l’orbite terrestre. Lors de leur entrée dans l’atmosphère, ces objets compriment l’air devant eux et s’échauffent, formant une trainée de gaz brulant. S’ils sont de petite taille, ils se désintègrent en météores et nous offrent le spectacle des étoiles filantes. Mais plus ils sont gros et lourd, plus la rentrée dans l’atmosphère est brutale.
Immédiatement, vient à l’esprit la vision de l’astéroïde monumental qui aurait ravagé la Terre, la plongeant dans l’obscurité pendant des années et faisant disparaitre les dinosaures il y a 66 millions d’années. En réalité, on sait aujourd’hui que l’impact n’a probablement pas causé la disparition des reptiles géants. Si une telle catastrophe arrivait aujourd’hui, les conséquences seraient globales, mais l’Humanité y survivrait[7]. Mais le risque ne doit pas être négligé. L’impact le plus spectaculaire de ces dernières années a eu lieu le 13 février 2013 : à 09h20[8], un astéroïde d’une masse estimée à 10 000 tonnes[9]et d’un diamètre d’environ 15 mètres est entré dans l’atmosphère à la vitesse de 18km/s. Il a finalement explosé au-dessus de la ville de Chelyabinsk (Fédération de Russie) à 92 km d’altitude, libérant une énergie équivalente à l’explosion de 440 000 tonnes de TNT. Le bilan fait état de 1 200 blessés, 297 bâtiments endommagés dont 6 hôpitaux et 12 écoles[10]. Sans que les deux évènements soient liés, l’astéroïde 2012DA14 frôlait la Terre au même moment, passant à une distance de 34000 km, soit plus proche que certains satellites. Ces exemples récents montrent que le risque est bien réel.
Pour se faire une idée des mesures prises par les Nations Unies, on peut se fonder sur le document A/AC.105/C.1/L.298 (disponible via ce lien : http://www.unoosa.org/pdf/limited/c1/AC105_C1_L298F.pdf) du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (COPUOS). Le principal effort est la création d’un réseau international d’alerte aux astéroïdes (IAWN). Il a pour but de favoriser et coordonner les efforts réalisés au niveau mondial pour détecter, suivre et caractériser physiquement les géocroiseursqui présentent un risque de collision avec la Terre. L’objectif est de déterminer l’heure, le lieu et la gravitéd’un potentiel impact d’astéroïde pour en informer la communauté mondiale[11].
En effet, les collisions majeures sont rares, mais elles sont aussi les seules catastrophes naturelles que l’ont peut empêcher. Or, plus la détection est tardive, plus l’énergie nécessaire à une déviation est importante. Très concrètement, une simple sonde de quelques tonnes, programmée pour percuter un astéroïde avant qu’il ne croise la Terre, suffirait à transformer une collision en simple frôlement… à condition que la manœuvre ait lieu de nombreuses années avant.
Le COPUOS a aussi créé un groupe consultatif pour la planification des missions spatiales(SMPAG). Il vise à obtenir des États membres de l’ONU qui ont des agences spatiales ou des activités spatiales, une politique commune lorsqu’il s’agira d’apporter une réponse face à la découverte d’un astéroïde filant droit sur la Terre[12]. Cette initiative est une première au plan mondiale, et de bon augure pour la coopération spatiale internationale.
L’Organisation des Nations Unies face aux défis du nouvel âge spatial
L’arrivée d’acteurs privés dans le domaine spatial (Space X, New Origin) renouvelle pleinement l’intérêt pour ce milieu. Au plan civil, les entreprises ne manquent pas, car elles profitent de contraintes différentes des agences étatiques et se préoccupent davantage de la réduction des coûts. D’où un avantage certain. Outre le marché des satellites et des fusées, un certains nombre d’entres elles envisage sérieusement l’exploitation des astéroïdes. En effet, les ressources naturelles sur Terre se raréfient, alors que la population augmente. Or, à titre d’exemple, si seulement 1% de la masse de l’astéroïde géocroiseur 2011 CG2 était composé de platine, il en compterait 60 000 tonnes et vaudrait ainsi 2400 milliards de dollars. Un petit corps de 30 mètres de diamètre représenterait 90 milliards de dollars à lui seul, or il y en existe plus d’un million[13]. Dans ce tumulte où se mêle innovation et vision d’un eldorado, le rôle des Nations Unies va être politique et juridique. En effet, le traité de l’espace du 10 octobre 67 stipule dans son article II que « L’espace extra-atmosphérique, incluant la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l’objet d’appropriation par une nation par déclaration de souveraineté, par le moyen d’une utilisation ou d’une occupation, ou par quelqu’autre moyen.». Du fait de l’époque à laquelle il a été conçu, le traité de l’espace de 1967 n’interdit donc pas à des entreprises privées d’investir le marché des astéroïdes. Voilà pourquoi, même si le retour sur investissement semble technologiquement lointain, de nombreux États ont commencé à se doter d’outils juridiques adéquat. Les exemples sont nombreux : le Space Actdu Président Obama (2015) autorise les citoyens américains à « extraire, posséder, transporter, utiliser et vendre des ressources issues des astéroïdes », et le Luxembourg a adopté une loi (13 juillet 2017) qui devrait lui permettre de légalement accueillir des entreprises de minage spatial[14].
Une réforme du traité de l’espace de 1967 sera donc nécessaire, d’autant qu’au plan militaire aussi, les choses évoluent très vite. Lors de la 3èmesession de son Conseil National de l’Espace, le Président Trump a réitéré sa volonté de créer une Space Force en temps que 6èmebranche de l’armée américaine[15]. Or le traité de l’espace limite en théorie l’utilisation militaire de l’orbite, tel que le stockage d’armes de destruction massive. Mais c’est une approche très étroite, et depuis quelques années c’est une tendance globale à la militarisation de l’espace qui se dégage. Outre la Chine, la Russie et l’Inde, d’autres puissances spatiales sont susceptibles de s’affirmer ou d’émerger dans un proche avenir. Les conséquences stratégiques se font déjà sentir. Le général français J-P. Breton (commandant interarmées de l’espace) a par exemple expliqué que plusieurs satellites français ont été approchés par des « satellites inspecteurs »[16]. Autrement dit, des satellites destinés à l’espionnage d’autres satellites.
Somme toute, si l’idée d’une journée internationale des astéroïdes peut faire sourire de prime abord, les enjeux qu’elle permet d’aborder vont bien au-delà d’une lubie d’astronome. En plus de sensibiliser sur les seules catastrophes naturelles que l’espèce humaine est en mesure d’éviter, elle démontre que l’espace extra-atmosphérique est le prochain théâtre des activités humaines, pacifiques ou non. Les Nations Unies auront donc probablement un rôle politique et juridique de premier dans le domaine spatial.
Ecrit par Amaury Dufay, Académie de la Paix, stagiaire à l’AISP.
[1]Astronogeek « La Sibérie dévastée par une comète », vidéo, publiée le 16/06/2017, www.youtube.com, https://www.youtube.com/watch?v=kO5SxmeA70I, consulté le 30/06/2018.
[2]Vid. cit. e.
[3]ANON, « Journée Internationale des astéroïdes, 30 juin », article, www.un.org, http://www.un.org/fr/events/asteroidday/, consulté le 30/06/18.
[4]ANON, « L’ONU appelle à remédier à l’impact potentiellement dangereux des astéroïdes par la coopération internationale », article, news.un.org, publié le 30/06/2017, https://news.un.org/fr/story/2017/06/360192-lonu-appelle-remedier-limpact-potentiellement-dangereux-des-asteroides-par-la, consulté le 30/06/2018.
[5]Art. cit. e.
[6]VAUGHAN James, « Asteroids space guard », artwork, publié en février 2018, app.artstation.com, https://app.artstation.com/artwork/Xo61w, consulté le 30/06/2018.
[7]Astronogeek « Et si un astéroïde frappait la Terre ? », vidéo, publiée le 23/03/2018, www.youtube.com, https://www.youtube.com/watch?v=-rWi44RINFs, consulté le 30/06/2018.
[8]HENAREJOS Philippe, « Météorite ruse, les leçons de l’impact céleste », Ciel & Espace, n°515, Avril 2013, pp. 22 – 23, p.22.
[9]HENAREJOS Philippe, « Une difficile enquête scientifique », Ciel & Espace, n°515, Avril 2013, pp. 28 – 31, p.29.
[10]DAUVERGNE J-L, DAGAN A., « Les circonstances de l’impact », Ciel & Espace, n°515, Avril 2013, pp. 26 – 27, p.27.
[11]DECOURT Rémy, « Pour protéger la terre des astéroïdes, l’ONU veut un effort mondial », article, publié le 17/12/17, www.futura-sciences.com, https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/asteroides-proteger-terre-asteroides-onu-veut-effort-mondial-59149/, consulté le 30/06/18.
[12]Art. cit. e.
[13]FOSSÉ David, « Les mineurs de l’espace », Ciel & Espace, n°553, Mai – Juin 2017, pp. 48 – 53, p.49.
[14]DECOURT Rémy, « Le Luxembourg en route vers l’exploitation minière des astéroïdes », article, publié le 24/07/17, www.futura-sciences.com, https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/astronautique-luxembourg-route-vers-exploitation-miniere-asteroides-61515/, consulté le 30/06/18.
[15]LISOIR Hugo, « Mars : Le rover Opportunity au cœur de la tempête ! DNDE#63 », vidéo, publiée le 19/06/18, www.youtube.com, https://www.youtube.com/watch?v=W733jycZASg, consultée le 30/06/18.
[16]HUBERDEAU Emmanuel, « Espace : La France renouvelle ses capacités militaires », article, publié le 24/01/18, www.air-cosmos.com, http://www.air-cosmos.com/espace-la-france-renouvelle-ses-capacites-militaires-106139, consulté le 30/06/18.