Le 10 avril 2018, Emmanuel Macron recevait Mohammed Ben Salmane, prince héritier d’Arabie Saoudite, et annonçait la tenue d’une grande conférence internationale sur l’aide humanitaire au Yémen. In fine, la conférence s’est soldée par une simple réunion organisée à Paris le 27 juin dernier.

 

Depuis septembre 2014, la guerre civile qui divise le Yémen oppose les rebelles houthistes, issus de la minorité zaydite (une branche du chiisme), soutenus par l’Iran qui mène, dans le sud de la péninsule arabique, une guerre par procuration, aux forces loyalistes yéménites appuyées par une coalition arabe guidée par l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis (EAU). Ce conflit aurait causé la mort d’au moins 10 000 personnes et entrainé le déplacement de 2 millions de yéménites. La situation au Yémen est également décrit par les Nations-Unies comme « la pire crise humanitaire de la planète ». En effet, pas moins de 7 millions de personnes seraient menacées par la famine et une épidémie de choléra. A l’origine, un conflit tribal et confessionnel qui, au fil des années, a pris une dimension régionale et internationale.

 

La prise du port d’Hodeïda, un nouveau tournant dans le conflit yéménite

Le 13 juin dernier, les troupes yéménites, soutenues au sol par les forces spéciales émiraties et par l’aviation saoudienne, se sont emparées du port d’Hodeïda, sous contrôle de rebelles houthistes depuis 2014. Le port d’Hodeïda est le centre névralgique de cette guerre puisqu’il concentre 70% des importations humanitaires au Yémen, dont 90% sont des ressources en nourriture et en médicaments. Il est également soupçonné, par la coalition anti-rebelle, d’être le lieu de transit par lequel l’Iran livrerait des armes aux Houthis. L’interruption des lignes d’approvisionnement modifie ainsi fortement la balance des forces entre la coalition et ses alliés locaux d’une part, et les rebelles houthistes d’autre part. La coalition entend, avec la reprise du port, assécher la dernière ligne d’approvisionnement majeure des houthistes. Envoyé spécial de l’ONU, Martin Giffith tente de négocier le passage d’Hodeida, zone stratégique majeure, sous la responsabilité des Nations-Unies. Une initiative prometteuse du point de vue humanitaire mais qui se révèle peu effective car il n’est pas indiqué qui assurerait la sécurité des infrastructures. De plus, la coalition a annoncé qu’elle refuserait tout compromis boiteux. Abd Rabbo Mansour Hadi, président yéménite a exprimé, le 27 juin, sa volonté de voir la totalité de la ville et de ses 600.000 habitants de repasser sous la souveraineté du gouvernement légal.

 

Des enjeux régionaux et internationaux sous-jacents

En cas de victoire de la coalition, ces facteurs pourraient conduire les Houthistes à négocier enfin sérieusement et à se désolidariser du régime irano-shiite. Dans une telle perspective, les rapports de force entre les multiples groupes qui combattent les Houthistes seraient aussi modifiés. Une victoire à Hodeida, la relégation des Houthistes à l’intérieur des terres et l’ouverture des négociations favoriseraient les forces politiques et militaires soutenues par Abou-Dhabi et mettrait un terme au lancement de missiles de fabrication iranienne sur l’Arabie Saoudite. Il ne faut pas oublier que le Yémen est le théâtre d’opération d’une guerre par procuration entre deux puissances externes, l’Iran d’un côté et l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis de l’autre.

Mais les enjeux relevant de ce conflit ne se limite pas aux oppositions politico-religieuses. L’éventuel contrôle des rives de la mer Rouge et du Golfe d’Aden par les rebelles houthistes entraverait la liberté de navigation sur la route de Suez, grande voie de passage entre l’Europe et l’Asie et entrainerait alors des difficultés pour le commerce maritime international. Par sa position stratégique, le conflit yéménite prend ainsi une dimension internationale attirant le regard des grandes puissances occidentales.

 

Quel rôle pour la France dans le conflit au Yémen ?

Le conflit yéménite ne se réduit pas à son cadre régional mais implique d’autres puissances telles que la France du fait de ses alliances régionales avec les monarchies sunnites du golfe arabo-persique. Si la présence des « Green Berets », les forces spéciales américaines en territoire yéménite a été révélé à plusieurs reprises par la presse anglo-saxonne, la présence française est plus obscure.

La France a exprimé son soutien à l’Arabie Saoudite et aux EAU, une position qui coïncide avec sa politique étrangère menée au Moyen-Orient depuis 2014. La lutte menée contre le djihadisme sunnite et le groupe Al-Qaida de la Péninsule Arabique (AQPA), menée par les forces émiraties, fait écho aux aspirations des grandes puissances occidentales et trouve soutien auprès de leurs forces spéciales ou moyens militaires. Il n’est pas sans rappeler que les Frères Kouachi, auteurs de l’attentat contre Charlie Hebdo, se réclamaient de l’AQPA.

En outre, la prise du port d’Hodeïda et la sauvegarde de la route de Suez constituent d’importants enjeux géostratégiques. Emmanuel Macron, malgré son désaccord avec Donald Trump sur le sort réservé à l’accord nucléaire de 2015, a pointé du doigt l’expansionnisme irano-chiite au Moyen-Orient. De ce fait, la France s’est engagée au déminage du port et à la contribution de la sécurisation de la navigation en mer Rouge. Une opération qui vise, à terme, une amélioration des conditions de navigation en mer Rouge et le plein accès aux infrastructures vitales pour l’acheminement de l’aide humanitaire.

Quel rôle la France peut-elle revêtir pour assurer la pérennité de ses intérêts dans la péninsule arabique ? Le rôle d’arbitre pour la France ne serait que peu envisageable face aux proches liaisons de la France avec l’Arabie Saoudite. Lors de la publication du dernier rapport annuel sur les exportations d’armes françaises du ministère des armées, début juillet, il est révélé que les industriels français ont livré près de 1,3 milliards d’euros d’armements à l’Arabie Saoudite, principal pays engagé dans la coalition.  La France a alors choisi de prendre le leadership sur l’enjeu humanitaire avec la prévision de la tenue d’une conférence internationale. Cependant, l’ambition initiale semble s’être amoindrie. La réunion du 27 juin s’est tenue uniquement au niveau des experts, sans représentant du gouvernement français et s’est déplacée de l’Elysée au Quai d’Orsay. Cette dernière fut également boycottée par les principales organisations non-gouvernementales remettant en cause la politique étrangère de la France dans la péninsule arabique et l’exportation de ses armes. La France ne jouerait-elle pas le jeu de l’hypocrisie ? Face à cette situation instable et à la perpétuation du statu quo, l’unique avantage de l’acheminement de l’aide humanitaire ne constituerait en aucun cas l’amorce d’une solution pour ce conflit majeur du 21è siècle.

Ecrit par Elsa Delore, stagiaire à l’AISP/SPIA, membre de l’Académie de la Paix