Article de Camille Missud, Chargée de liaisons pour l’Association Internationale des Soldats de la Paix
Alors que la situation actuelle du Liban, engrené dans une crise multiformes, est de plus en plus préoccupante, la question d’un retour au mandat français se pose. Retour sur cette période historique marquante.
I. Analyse historique du protectorat français.
Entre 1923 et 1943, le Liban se trouve sous mandat français. Cette décision politique n’est pas soudaine mais résulte bien d’une relation historique entre les deux pays. En effet, dès le XIXème siècle, Napoléon III envoie des troupes au Liban afin de sauver les chrétiens que les musulmans menacent de massacrer.
Un siècle plus tard, le 16 novembre 1916, un accord secret est signé entre deux diplomates Mark Sykes et François Georges-Picot. Cet accord “Sykes-Picot” prévoit le partage des dépouilles de l’Empire Ottoman, entre Anglais et Français. Les Britanniques s’attribuent ainsi la Palestine et l’Irak, tandis que les Français obtiennent le futur Liban, la Syrie et le Sud-Est de la Turquie actuelle.
Alors que la “Grande Syrie” est proclamée indépendante le 11 mars 1920, le 28 avril de la même année, la Société des Nations donne à la France un “mandat pour la Syrie et le Liban”. Ces deux pays deviennent dès lors des protectorats français. L’objectif est de transformer ces anciennes provinces ottomanes en deux républiques laïques avec une officialisation du communautarisme religieux. Le protectorat est en effet un contrôle exercé par un Etat puissant sur un État plus faible. Sous la forme d’une convention ou d’un acte unilatéral, il crée une dépendance limitée de l’Etat protégé à l’égard de l’Etat protecteur. Le premier s’occupe des relations extérieures, de la sécurité et parfois d’une partie de l’administration de l’Etat protégé. Ce dernier garde une certaine autonomie intérieure et sa personnalité internationale. Là est la véritable différence entre le protectorat et la colonisation.
Il est nécessaire de citer le Général Gouraud, ayant joué un rôle central. Le 3 août 1920, il décide d’organiser la Syrie en la divisant en quatre entités politiques distinctes : l’Etat du Grand Liban, l’Etat de Damas, l’État d’Alep et le Territoire des Alaouites. Le Général de Gaulle a également joué un rôle prépondérant. En 1941 et 1942, il affirme les positions de la France Libre et désigne la relation franco-libanaise comme celle d’une alliance volontaire et étroite, scellée par un traité entre deux nations souveraines.
Le 10 août 1920, suite à la Conférence de San Remo, le traité de Sèvres est signé entre l’Empire Ottoman et ses ennemis de la Première Guerre mondiale. L’Entente achève le démembrement de l’Empire qui perd les quatre cinquièmes de son territoire.
Par ce mandat, l’administration française restructure le territoire qu’elle occupe avec la création d’un État du grand Liban, l’Etat d’Alep et l’Etat de Damas, ainsi qu’un État autonome alaouite et un Etat autonome druze. Un peu plus tard, les Français instituent une Fédération syrienne avec Damas comme capitale.
Le 1er septembre 1920, l’Etat du Grand-Liban et plus précisément “Etat indépendant sous mandat français” est officialisé. La France institue dès lors, en collaboration avec le gouvernement libanais, un Conseil consultatif où seront représentées les 17 communautés religieuses du pays.
II. Vers l’indépendance du Liban.
A. Le système politique du mandat, sous la SDN puis l’ONU :
Afin de réellement comprendre le mandat français au Liban qui a amené le pays vers son indépendance, il est nécessaire de redéfinir ce système politique qui a fonctionné sous l’égide de la Société des Nations puis de l’Organisation des Nations Unies.
Avant toute chose, si l’on suit une chronologie historique, il est pertinent de rappeler les Quatorze points du Président américain Woodrow Wilson. En 1918, se dessinent les projets d’un nouvel ordre de paix mondial basé sur de nouvelles relations entre les Etats. Le président Wilson, dans une conception idéaliste des relations internationales, présente 14 points afin de mettre un terme à la guerre et de préparer la paix
La SDN, créée en 1945, a mis en place le système de territoire sous mandat, selon lequel une institution organise l’administration d’un territoire par un Etat sous le contrôle d’une organisation internationale. Ce système a été décidé face à la nécessité de créer un régime susceptible de s’appliquer à l’ensemble des territoires non européens retirés à l’ex-Empire allemand ou nés du démembrement de l’Empire ottoman à l’issue de la Première Guerre mondiale.
Plus précisément, l’Article 22 du Pacte de la SDN indique que le mandat est nécessaire dans la situation où les peuples des territoires en question sont incapables de se diriger eux-mêmes, qu’il faut donc en assurer le bien-être et le développement, dans une mission sacrée de civilisation. Il est dès lors choisi de confier la tutelle de ces peuples aux nations développées qui sont capables d’assumer cette responsabilité.
3 sortes de mandats sont prévus par le Pacte de la SDN : A, B et C. Le mandat A fut celui appliqué aux territoires issus du démembrement de l’Empire ottoman : la Syrie et le Liban furent confiés à la France tandis que l’Irak, la Palestine et la Transjordanie au Royaume-Uni.
En 1945, suite à l’échec et la discréditation de la SDN, l’Organisation des Nations unies est créée. Le système du mandat devient celui du régime international de tutelle pour la surveillance des territoires placés sous ce régime en vertu d’accords particuliers conclus entre eux et les Etats chargés de les administrer.
Selon l’article 77 de la Charte, ce régime s’appliquait aux territoires placés sous mandat de la SDN au sortir de la Première Guerre mondiale, aux territoires détachés d’Etats ennemis par suite de la Seconde Guerre mondiale et aux territoires volontairement placés sous ce régime par les Etats responsables de leur administration.
Selon l’Article 76, les objectifs premiers de ce régime sont de favoriser le progrès politique, économique et social des populations des territoires sous tutelle ainsi que favoriser leur évolution progressive vers la capacité à s’administrer eux-mêmes ou l’indépendance, encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous et développer le sentiment de l’interdépendance des peuples du monde.
B. Le chemin du Liban vers son indépendance :
Le 5 novembre 1943, à Alger, le Général de Gaulle convoque un comité restreint. Jean Helleu est préoccupé par la situation politique au Liban et craint de voir le Parlement amender la Constitution. Le 8 novembre, par vote, certains articles de la Constitution relatifs au mandat français sont abrogés.
Le 22 août, l’indépendance du Liban est prononcée, il devient un Etat libre et souverain. Néanmoins, la France refuse de lui accorder et fait emprisonner le président et le gouvernement libanais pendant dix jours, avant de céder et de les libérer sous la pression de la Grande-Bretagne. Par ailleurs, les troupes françaises resteront sur place jusqu’en 1946.
III. Face à la situation libanaise catastrophique, une nostalgie de ce mandat ?
Après la catastrophe de l’explosion du 4 août 2020, le peuple libanais ne supporte plus l’incompétence et la corruption de son gouvernement. De nombreux libanais repensent alors avec nostalgie à la période du protectorat.
Ainsi, en août 2020, 50 000 personnes ont déjà signé une demande faite à Emmanuel Macron de placer le Liban sous “mandat français pour les 10 prochaines années”. Selon le peuple, les responsables libanais ont clairement montré une incapacité totale à sécuriser et à gérer le pays. Depuis plusieurs années maintenant, le système libanais est défaillant, caractérisé par la corruption, le terrorisme et les milices. Un nouveau mandat français permettrait-il une gouvernance saine et durable ?
Bien-sûr les avis de la population libanaise sont mitigés. Certains critiquent la venue de Macron, utilisant le terme d’ingérence. Définition ingérence : intervention d’un Etat dans la politique intérieure d’un autre Etat. D’ailleurs, pour certains historiens, le Liban a toujours été victime d’ingérences, remettant en cause sa souveraineté : en 1958 avec les Marines américains ou encore en 1982 avec les forces internationaux.
Néanmoins, avant de se demander si un retour du mandat français est pertinent et ce qu’il impliquerait, il est nécessaire de se demander si cela est possible politiquement et en terme de droit international ?
Juridiquement, un retour au mandat français est possible mais politiquement c’est impossible.
Par ailleurs, depuis 1994, date où le dernier territoire sous tutelle a obtenu son indépendance (îles du Pacifique, Palaos, anciennement administré par les Etats-Unis), le Conseil de Sécurité a suspendu ses activités. Il continue néanmoins d’exister, encore aujourd’hui, en tant qu’organe de l’ONU.
Ainsi, bien que la France soit restée une alliée traditionnelle du Liban depuis son indépendance, un retour au mandat et au protectorat français n’est pas envisageable politiquement. Revenir au mandat français impliquerait également un retour dans l’Histoire, un recul de souveraineté par la perte de l’indépendance.
Néanmoins, le souhait de plusieurs libanais de revenir au mandat français ne peut être ignorer. Une autre solution peut-elle être envisageable ? Une coopération renforcée ? Par exemple, est-ce-que le Liban ne pourrait-il pas obtenir le statut de la Polynésie ?
En effet, la Polynésie française, collectivité d’outre-mer de la République française, est un territoire non-autonome relevant de l’article 73 de la Charte des Nations Unies. Selon cet article, certains membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité internationales. Depuis 1984, la Polynésie française est un territoire d’outre-mer doté de l’autonomie interne dans le cadre de la République. Ce statut a évolué, notamment vers une autonomie renforcée en 2004. Ainsi, aujourd’hui, existe un véritable partenariat entre l’Etat garantissant la solidarité nationale et la sécurité globale de la société, et la volonté des Polynésiens de mettre en valeur leurs ressources propres. Le territoire possède donc une certaine souveraineté tout en bénéficiant d’une protection de l’Etat français. Cette situation politique pourrait-elle être envisageable pour le Liban ? Une coopération est-elle possible entre les gouvernements français et libanais ?