Article de Camille Missud, Chargée de liaisons sous la Direction du Président International de l’AISP / SPIA Laurent ATTAR-BAYROU.
3 mois après mon article sur la situation au Liban, une nouvelle analyse est nécessaire. Le pays, depuis de nombreuses années en proie à une situation géopolitique des plus compliquées avec les territoires voisins et empêtré dans une crise économique sans précédent, continuer de sombrer.
I. Où en est le Liban aujourd’hui ?
Le 4 août, 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium entreposées dans le port de Beyrouth provoquent une explosion d’une ampleur magistrale. L’incident fait 171 morts et plus de 6000 blessés.
A. Situation sociale
Cette explosion meurtrière ne fait qu’aggraver la situation déjà préoccupante pour la population. Depuis octobre 2019, les manifestations se multiplient contre le gouvernement, le parlement et les banques, tous corrompus. La population s’insurge également contre le Hezbollah, parti armé au pouvoir et qui participe à ses propres guerres partout dans la région. A titre d’exemple, le 8 août, une grande manifestation est organisée par la population contre la classe politique dirigeante.
Pour le moment, l’urgence reste la population. Il est nécessaire de déblayer les rues de tous les dégâts matériels causés par l’explosion, de sécuriser les bâtiments et de répondre à l’urgence médicale.
B.Situation économique
Depuis sa création en 1887, le port de Beyrouth constituait une source d’alimentation essentielle. Son explosion implique la perte de 60% des importations et compromet la sécurité alimentaire ainsi que financière. Selon une estimation publiée par la Banque mondiale, l’explosion a causé entre 6,7 et 8,1 milliards de dollars de dégâts et de pertes économiques et le Liban aurait urgemment besoin de 60 à 76 millions de dollars pour se relever. Un programme de sortie de crise économique doit également être envisagé.
Le port de Beyrouth constituait également un lieu tout à fait stratégique pour toute la région, notamment pour tout pays ne souhaitant pas commercer avec Israël.
C. Situation politique
Plusieurs milliers de manifestants reprochent aux dirigeants politiques d’être responsables de l’explosion. La population ne supporte plus la corruption et les ingérences du gouvernement libanais. L’explosion étant l’apogée de toute la colère des Libanais, le 10 août, le premier ministre Hassan Diab annonce sa démission. Elle fait suite à celle de quatre ministres en deux jours.
Le 31 août, Mustapha Adib est nommé comme nouveau premier ministre. Ancien ambassadeur du Liban en Allemagne, son profil sans réel poids politique détonne avec ses confrères. Néanmoins, face à l’inefficacité du système politique libanais, peut-être est-ce une solution de se tourner vers la nouveauté.
II. Ce que cet événement révèle et confirme.
La nécessité de réformer le système gouvernemental.
La principale cause de la crise économique étant l’ingérence du gouvernement, il apparaît dès lors nécessaire de réformer celui-ci.
Le Liban repose sur un système confessionnaliste, c’est-à-dire une République parlementaire basée sur la distribution des pouvoirs politiques et administratifs selon la proportion des communautés religieuses. L’article 95 de la Constitution stipule que les communautés religieuses “doivent être représentées équitablement dans la formation du gouvernement”. 18 religions cohabitent ainsi au Liban : maronites, grec-orthodoxes, grec-catholiques, chiites, sunnites, druzes, ismaéliens et alaouites.
Si ce système politique peut être remis en question, c’est surtout ceux qui y possèdent le pouvoir qui sont critiqués. La corruption et le clientélisme menacent la totalité du système libanais. Un parallèle pertinent peut être fait avec l’Afrique, dont la corruption freine le développement des pays.
Une refonte du système semble nécessaire, mais elle implique une longue transition politique, passant en premier lieu par l’abolition de la loi électorale. Il est primordial de faire avancer le gouvernement libanais vers une meilleure gouvernance.
Le Hezbollah, groupe islamiste chiite, fait partie de la classe politique libanaise depuis 1992. Dès lors, aucun changement politique n’est envisageable sans le consentement du parti. Malheureusement, celui-ci apparaît davantage comme un acteur de blocage.
III. Dès lors, quelles solutions envisager ?
A. La France, comme allié historique
Historiquement, le Liban et la France entretiennent des relations privilégiées. Dès l’Empire ottoman, la France jouissait déjà de très bonnes relations avec la communauté maronite, les chrétiens-catholiques et ses missionnaires et jésuites. Sous le règne de François 1er, des liens se tissent réellement entre les deux pays, lorsque le monarque obtient du sultan turc la responsabilité de protéger les chrétiens d’Orient. En 1920, le Liban devient un protectorat français. En 1943, le Liban obtient son indépendance mais les liens avec la France restent très forts : la langue française y est apprise et sa diaspora est fortement implantée en France avec près de 250 000 libanais. Enfin, présente depuis 1978 au Liban, la France est l’un des principaux pays contributeurs de la FINUL, avec près de 900 soldats.
En août 2020, juste après l’incident, le président Emmanuel Macron s’est rendu à Beyrouth pour témoigner de son empathie et assurer que le Liban n’était pas seul dans cette tragédie. Néanmoins, il a souligné que compte tenu de la situation politique libanaise, une simple contribution monétaire ne pouvait être envisageable. La France a notamment envoyé des navires vers le Liban. C’est le cas du navire Tonnerre transportant 700 militaires et plusieurs tonnes de fret dont 700 tonnes d’aide alimentaire.
Le 2 septembre, le Président français met la pression au gouvernement libanais. Il fixe notamment l’ordre du jour pour la prochaine équipe ministérielle et avertit que les trois mois à venir seront cruciaux pour qu’un véritable changement intervienne au Liban.
B. Au niveau international
Rappelons que le Liban ne fait partie d’aucune organisation régionale, hormi l’OIF. Le pays étant marqué par une corruption exacerbée, il est impossible pour les autres pays de simplement libérer des fonds qui seraient utilisés à mauvais escient. De plus, les Etats-Unis, pays pourtant très interventionniste, se désengagent progressivement.
Le 9 août, l’ONU et la France ont organisé une visioconférence entre pays donateurs, tels que les États-Unis, la France, la Chine, la Russie ou encore l’Egypte. Cette conférence avait pour objectif de mettre en oeuvre les moyens les plus pertinents pour aider au mieux le Liban. Afin d’éviter les circuits de la corruption, les pays donateurs souhaitent s’appuyer sur des institutions assurant clarté et transparence des fonds tels que l’Union Européenne, la Banque mondiale et les agences de l’ONU. Selon l’ONU, 10 milliards d’euros sont nécessaires pour envisager une reconstruction du pays. La Banque de France propose quant à elle d’auditer les comptes publics.
Ainsi, le constat pour le Liban est plutôt négatif. Le pays est engrené dans une crise multiformes, sociale, politique, monétaire, économique, géopolitique. Cette situation est exacerbée par la corruption et le système politique défaillant. Alors que l’aide des institutions internationales semble primordiale, la véritable solution demeure un changement complet du système de fonctionnement du pays, impliquant notamment le contrôle des capitaux, la gouvernance juridique et financière, la lutte contre la corruption et la contrebande ou encore la réforme des marchés publics.