La maladie Covid-19 a créé plusieurs polémiques aux niveaux social, politique et économique. Au niveau international, la gouvernance mondiale et le pouvoir sont devenus des sujets sensibles.
Les scientifiques et les politiciens analysent la situation créée par le Covid-19 comme un nouvel enjeu du pouvoir politique international et de la gouvernance mondiale. Dans le domaine de la gouvernance mondiale, la crise du Covid-19 apparaît d’abord comme une crise liée à la capacité d’anticipation de la communauté internationale.
Le Professeur Sven Biscop est membre honoraire de la sécurité et la défense européennes de l’UE (ESDC) et est à la tête du Programme mondial à l’Egmont Royal Institut des relations internationales de Bruxelles pour l’Europe. Il donne également des cours à l’Université de Gand. Dans son dernier livre intitulé European Strategy in the 21st Century (Routledge, 2019), il soutient que le Covid-19 n’est pas capable de changer grand-chose au monde et notamment au niveau de la gouvernance mondiale.
Il explique que l’équilibre des pouvoirs ne pourra changer de manière considérable et que les relations entre les puissances ne deviendront sans doute pas plus cordiales à l’avenir (à moins qu’un changement de direction ne se produise à Washington et à Pékin).
Selon lui, si les Européens souhaitent que la crise du Coronavirus mène à un changement positif, ils doivent créer eux-mêmes ce changement. L’UE devra instrumentaliser la crise de manière positive. Cela pourrait être l’occasion d’essayer de renforcer la gouvernance mondiale dans un domaine tel que la santé, et d’organiser l’interdépendance de l’UE avec la Chine et d’autres sur une base plus rationnelle.
Mais la plupart des analyses des politiciens montrent un changement important dans les relations et la gouvernance mondiale et notamment une concurrence entre la Chine et les Etats-Unis pour avoir la main sur les relations politiques et économiques.
Depuis que le président Donald Trump a pris ses fonctions en 2017, son approche des relations américano-chinoises a inclus une pression accrue qui s’est exprimée à travers les tarifs douaniers et la rhétorique de la guerre commerciale. En ce moment, avec le début d’une pandémie sans précédent, les conditions sont fragiles pour les deux puissances mondiales. L’impact du virus sur une multitude d’engagements bilatéraux et multilatéraux est en cours d’évaluation et les relations retiennent encore plus d’attention entre les deux pays les plus puissants du monde.
Dans ce contexte, la pandémie de Coronavirus a engendré des opinions négatives sur la Chine qui n’ont cessé de croître selon une nouvelle enquête menée par le « Pew Research » Center auprès des Américains au mois de Mars. Environ deux tiers d’entre eux disent avoir une vision négative de la Chine, ce qui constitue le plus mauvais score enregistré pour le pays depuis que le Centre a commencé à poser cette question en 2005. Ce score a d’ailleurs connu une hausse de près de 20 points depuis le début de l’administration Trump. Les opinions positives sur le leader chinois, le président Xi Jinping, sont également à des niveaux historiquement bas.
La guerre des mots s’est déclenchée et a fait les grands titres dans les deux pays. La crise du Coronavirus s’est déplacée aux États-Unis tandis que la Chine projette désormais l’image d’un pays qui a réussi à combattre le virus et qui est prêt à aider le monde.
La Chine a envoyé des médecins et des fournitures médicales dans des pays du monde entier alors même que l’Union européenne et les États-Unis tentent de consolider leurs propres réponses nationales à la crise mondiale. Cela arrive à un moment où l’administration du président Trump est confrontée à de nombreuses critiques pour sa gestion inefficace de la pandémie.
Mais le problème s’est aggravé. La direction politique des États-Unis a, pour sa part, accusé le gouvernement chinois d’avoir provoqué la propagation du virus dans le monde, avec sa gestion douteuse de la crise de santé publique en Chine. La détermination acharnée de Pékin à tirer profit de la crise, à renforcer sa revendication d’un leadership mondial et l’insistance de Trump à l’appeler le « virus chinois » pendant des semaines ont créé de nouvelles fractures dans une relation entre les deux puissances qui était déjà conflictuelle.
Le gouvernement chinois a initialement manifesté son mécontentement face à l’apathie des États-Unis durant la première phase du virus – critiquant Washington pour avoir évacué ses citoyens sans offrir aucune aide (bien que le CDC américain aurait proposé d’envoyer une équipe pour aider dès le 6 janvier). Sur les réseaux sociaux, les diplomates Chinois ont fortement signalé leur colère et certains sont même allés jusqu’à soutenir la théorie du complot selon laquelle le coronavirus était une arme biologique fabriquée dans des laboratoires américains.
Les facteurs économiques, tels que les pertes d’emplois en Chine et le déficit commercial, restent des préoccupations importantes pour le public américain. Mais d’autres problèmes – notamment les politiques chinoises en matière de droits de l’homme et la dégradation de l’environnement – inquiètent également les Américains. Bon nombre de ces questions influencent la façon dont le public perçoit la Chine en général : ceux qui considèrent ces politiques chinoises comme étant problématiques ont généralement une opinion moins favorable de la Chine dans son ensemble.
Les opinions sur la Chine se sont encore détériorées en 2020, tout en sachant qu’une hausse spectaculaire des opinions négatives avait déjà été observée entre 2018 et 2019. Environ deux tiers des Américains ont maintenant une image négative de la Chine, c’est le pourcentage le plus élevé jamais enregistré depuis que le Pew Research Center a commencé à poser la question en 2005. Aux États-Unis, environ un quart seulement de la population exprime une opinion favorable sur la Chine.
Le plus important demeure l’avenir des relations entre les puissances et la gouvernance mondiale. De nombreux théoriciens estiment que ces relations connaîtront de sérieux changements après le Coronavirus. Les Etats-Unis connaîtront une crise importante au niveau mondial et la Chine deviendra la première puissance mondiale.
Mais la puissance des Etats-Unis ne constitue pas un pouvoir économique. Les Etats-Unis sont à la tête de plusieurs organisations internationales parmi lesquelles des organisations clés à l’échelle mondiale. Ils contrôlent le monde à travers leur pouvoir directionnel et les postes clés qu’ils occupent sur plusieurs continents. Ils ont des outils et des bases militaires partout dans le monde et sont présents dans toutes les affaires des pays pétroliers. Ils ont plusieurs accords et sont donc capables de gérer l’économie en leur faveur, comme l’illustre le dernier voyage de Trump en Inde. Ce voyage constituait une véritable menace pour la Chine. Les Etats-Unis ont également menacé d’arrêter de financer les organisations internationales et mondiales dans le but de sanctionner la Chine.
Dans ce cas-là, on ne peut pas dire que la Chine pourra occuper la place des Etats-Unis en termes de pouvoir et de gouvernance mondiale. Néanmoins, la Chine aura peut-être plus d’influence économique sur les pays de l’Asie du Sud et du Moyen Orient.
Fakhereh Moussavi
Docteur en science politique
Membre de l’Académie Internationale de la Paix