Par Louikens EVARISTE, Analyste stagiaire Relations internationales-Droits de l’homme à l’AISP/SPIA, étudiant en Master 2 Histoire, théorie et pratique des droits e l’homme à l’Université catholique de Lyon, sous la direction du président de l’AISP/SPIA, Monsieur Laurent Attar-Bayrou.
La question écologique, évoquée dans les relations internationales, désignerait l’expression des vives préoccupations pour les générations actuelles et futures quant à la multiplication des aléas naturels et crises écologiques[1]. Le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, la pollution et l’épuisement de ressources en sont les manifestations les plus préoccupantes.
Associée à la notion d’espace, elle est un enjeu des relations internationales, et censée avoir une dimension globale. La question écologique est ainsi vue comme transfrontalière, intéressant donc la géopolitique. Klaus Toepfer, directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), affirme même que la détérioration de l’environnement peut devenir un facteur de multiplication des guerres[2]. La question écologique rencontre ainsi la problématique de la souveraineté des États.
Au plan théorique, la souveraineté étatique serait pour un État la capacité de gérer pleinement ses enjeux internes sans risque d’ingérence étrangère. Par ailleurs, les tensions diplomatiques nées de la question écologique évoquent quelque chose: la souveraineté ne semble exister que dans la relativité. Le cas de l’Amazonie l’illustre bien, et il convient ici de l’étudier. L’importance écologique de cette partie du monde soumet le Brésil, ainsi que les autres États qui se la partagent, à cette problématique de souveraineté. Pourquoi le cas du Brésil est-t-il alors représentatif des débats sur l’Amazonie ?
Un premier élément de réponse est que 60% de la superficie totale du bassin amazonien se trouve en territoire brésilien[3]. De plus, l’ensemble de l’Amazonie possède « plus de la moitié de toutes les espèces animales et végétales connues de la planète »[4]. Selon Oliver Dabène et Frédéric Louault, « l’Amazonie est au cœur des contradictions du Brésil, fantastique réserve de ressource et levier de développement, elle abrite la plus riche biodiversité et concentre la plus grande réserve oxygène de la planète »[5].
Par ailleurs, la politique du Brésil à l’égard de l’Amazonie préoccupe de plus en plus la communauté internationale, car jugée trop peu écologiste. À ce motif, elle n’accepterait pas que l’État brésilien, malgré sa souveraineté sur l’espace en question, décide comme bon lui semble du « poumon de la planète ». Au nom de la protection de la planète contre les risques écologiques, bien des pays comme la France et les États-Unis se positionnent face à la gestion faite de l’Amazonie, une gestion critique aux yeux de la communauté internationale. Pour preuve, la déforestation en Amazonie brésilienne a atteint son plus haut niveau ces dernières années. La politique du Président Jair Bolsonaro sur l’Amazonie inquiète. On peut ainsi évoquer son ambition, affichée lorsqu’il était en campagne, de légaliser l’agriculture ou les activités minières dans des zones protégées, et de réduire les fonds alloués aux programmes de protection de l’environnement.
Les interactions médiatiques sur la gestion amazonienne, notamment sous l’administration Bolsonaro, rendent compte de l’énorme place qu’occupe le Brésil dans les débats sur l’Amazonie. D’ailleurs, les qualificatifs en disent long sur l’enjeu que représente cette dernière : « Poumon de la planète » ou encore « patrimoine écologique de l’humanité ». Ils traduisent des relations d’interdépendances et d’intérêts entre les États qui, dans ce cas précis, est à l’origine d’une nécessaire coopération au regard des enjeux[6].
La convoitise du potentiel économique de l’Amazonie, objet de préoccupations environnementales
L’économie brésilienne dépend fortement de ses exportations, et mise sur le potentiel agricole de l’Amazonie. L’accès aux matières premières dans l’Amazonie brésilienne a, de toute façon, toujours suscité l’intérêt des grands acteurs économiques. L’exemple de la Chine et du marché qu’elle représente pour le soja brésilien est très représentatif de cette dynamique. Sous l’administration Bolsonaro, et dans un contexte de renforcement des partenariats économiques, le Brésil a augmenté ses exportations de soja vers la Chine[7]. Or, l’exploitation du soja, telle qu’elle est constatée, se révèle être responsable de la destruction forestière. Par ailleurs, le Brésil est, depuis des années, devenu l’un des principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre[8]. Selon une estimation du Système d’Évaluation des Émissions de Gaz à Effets de Serre (SEEGS), l’agriculture a été responsable de près de trois quarts des émissions de CO2 au Brésil en 2017[9].
Le Brésil gagne ainsi l’image d’un pays attaché à détruire son immense forêt amazonienne, un État qui ne respecte pas ses engagements internationaux dont l’accord de Paris. En conséquence, il n’est pas étonnant de voir que la communauté internationale envisage des formes de pressions en vue de décourager cette dynamique de dégradation environnementale. Comme l’affirme le géographe GeorgesRossi « les problèmes de développement ou environnementaux n’ont que faire des frontières étatiques ou des limites imposéespar les représentations ; ils s’inscrivent au sein de systèmes ou de réseaux complexes se manifestant à plusieurs échelles et développant des ramifications sur l’ensemble de la planète »[10]. Autrement dit, les mécanismes économiques sont souvent utilisés pour influencer le comportement ou les politiques des États. C’est le cas pour le Brésil qui, sous peine de ne pas pouvoir profiterdes capitaux pour son développement, est assez souvent appelé à faire des concessions, ou plus simplement se conformer aux lignes directrices de la communauté internationale à travers des organismes internationaux. C’est en ce sens que des pressions financières sont dirigées contre le Brésil.
Le fonds amazonien, créé en 2008 et financé principalement par la Norvège et l’Allemagne, s’avère être un véritable instrument d’influence utilisé par une partie de la communauté internationale. En 2009, la Norvège et l’Allemagne ont d’ailleurs bloqués 30 millions d’euros de subventions destinées au Brésil[11]. Ceci, en parallèle de la BID et la Banque mondiale, qui sont traditionnellement utilisées comme des instruments de pressions financières sur les États.
Par ailleurs, l’usage des conditions de financement comme instrument de pressions est aussi évident lorsque l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE)et l’Agence française de développement (AFD) apportent des subventions à des programmes visant à accompagner les territoires d’Amazonie dans leur lutte contre la déforestation et leur transition vers des modes durables de développement.
Cela montre combien les pays développés sont enclins à user de leurs puissances économiques pour influencer la gestion de l’Amazonie. Tout bien considéré, une telle tendance affecte la souveraineté du Brésil.
Somme toute, l’Amazonie est un écosystème crucial pour le présent et l’avenir de la planète.Sur cette base,l’ensemble de la communauté internationale aurait intérêt à se manifester sur la gestion de cet espace, notamment en situation de crise écologique. Comme les auteurs Joseph Camilleri et Jim Falk le soutiennent, les crises écologiques deviennent la source d’un « défi aux frontières et aux souverainetés »[12].
Notes de bas de page:
[1] WEIKMANS Romain, ZACCAÏ Edwin, « La crise écologique mondiale », Problèmes économique, n°6, 2014, pp 95-103,
[2] TOEPFER Klaus, « La sécurité écologique est aussi importante que la sécurité militaire », article, Le Temps, www.letemps.ch, https://www.letemps.ch/opinions/securite-ecologique-importante-securite-militaire, consulté le 9 mai 2021.
[3] DAGICOUR Ombelyne, « Géopolitique de l’Amazonie », Politique étrangère, vol. printemps, no. 1, 2020, pp. 135-146.
[4] FLEURY Marie-Françoise, « La forêt amazonienne : un paysage forestier, un paysage naturel », dossier, Académie de Rouen, hist-geo.spip.ac-rouen.fr, http://hist-geo.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article177, consulté le 9 mai 2021.
[5] OLIVIER, D. et FREDERIC, L., Atlas du Brésil. Promesse et défis d’une puissance émergente, Éditions Autrement, Collection Atlas/Monde, Paris, 2013, p. 42.
[6] GABAS Jean-Jacques, HUGON Philippe, « Les biens publics mondiaux et la coopération internationale », L’Économie politique, vol. no 12, no. 4, 2001, pp. 19-31.
[7] ANON, « Chine-Brésil, renforcement des échanges dans un contexte de crise », article, Chine Magazine, www.chine-magazine.com, https://www.chine-magazine.com/chine-bresil-renforcement-des-echanges-dans-un-contexte-de-crise/, consulté le 20 avril 2021.
[8] TROTIGNON Jérôme, « Les émissions de CO2 du Brésil : impact de l’usage des terres, de leur changement d’affectation et de la foresterie », Revue d’économie du développement, vol. vol. 22, no. 1, 2014, pp. 107-134.
[9] ANON, « Le Brésil, géant agricole pas vraiment vert », article, GEO, www.geo.fr, https://www.geo.fr/environnement/le-bresil-geant-agricole-pas-vraiment-vert-196883#:~:text=Le%20secteur%20agricole%20a%20%C3%A9t%C3%A9,gaz%20%C3%A0%20effet%20de%20serre), consulté le 24 avril 2021.
[10] ROSSI Georges, Cahiers de géographie du Québec, Volume 47, Numéro 132, décembre 2003, p. 465–472
[11] ANON, « Déforestation au brésil : la Norvège bloque 30 millions de subventions destinés », article, GEO, www.geo.fr, https://www.geo.fr/environnement/deforestation-au-bresil-la-norvege-bloque-30-millions-deuros-de-subventions-197021#:~:text=D%C3%A9connexion, consulté le 20 avril 2021.
[12] DALL’AGLIO Andrea., Ingérence écologique : un débat In : Écologie contre nature : Développement et politiques d’ingérence, https://books.openedition.org/iheid/2915?lang=fr, consulté le 20 avril 2021.