Le 5 juin dernier, le peuple malien s’est réuni par dizaines de milliers pour réclamer le départ du Président Ibrahim Boubacar Keita, démocratiquement réélu en 2018. Dans le sillage de l’influent Mahmoud Dicko, imam le plus médiatisé du pays, les manifestations ont débuté à Bamako et se répandent aujourd’hui dans toutes les villes majeures du pays, jusqu’à Tombouctou, aux portes du désert. Derrière cette crise sociopolitique multidimensionelle, semble se cacher un mal-être récurrent à l’histoire de la République Malienne.
« Le Mouvement du 5 Juin » : quelles revendications ?
L’opposition, rassemblée depuis peu au sein du « Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des Forces Patriotiques » est composée de groupes hétéroclites, ayant comme dénominateur commun un fort désaccord avec la politique du gouvernement d’Ibrahim Boubacar Keita. Si depuis le début du mois de juin, les foules réclamaient son départ deux ans avant la fin officielle de son mandat, les positions semblent aujourd’hui être susceptibles d’évoluer dans la direction du dialogue.
Celui qu’on appelle plus communément IBK est arrivé au pouvoir en 2013, avec l’espoir de redresser le pays, qui était alors plongé dans la crise la plus importante de son histoire. Après de lourdes défaites militaires, le Mali était tombé aux mains de groupes armés, qui contrôlaient près de 50% du territoire. Ces défaites militaires avaient provoqué la colère de l’armée, renversant le Président Amadou Toumani Touré, deux mois avant la fin de son mandat.
Après un premier terme marqué par des succès militaires au nord et une intervention internationale croissante dans le pays, IBK a été réélu en 2018, à la suite d’une élection contestée, pour un deuxième et dernier mandat. Ces succès militaires qui ont permis à l’armée de regagner un contrôle relatif des régions nord du pays, n’ont pourtant pas apaiser la situation au Mali.
Le Président IBK n’arrive toujours pas à faire face au mécontentement global de sa population. Cette dernière est fatiguée par les scandales de corruptions récurrents frappant tous les échelons d’un service public en crise. Karim Keita, fils du président et membre de l’Assemblée, dont de récentes vidéos alimentent la fronde populaire, est au cœur des critiques. Il est accusé de flamber avec l’argent du contribuable, dans un pays où les enseignants ne sont plus payés depuis de nombreux mois et où les enfants n’ont plus accès à l’éducation. Au niveau économique, la situation ne s’améliore guère et la pauvreté reste un phénomène généralisé.
De surcroît, le gouvernement se révèle incapable de mettre fin aux violences intercommunautaires et violations de droits humains qui rythment le quotidien des populations civiles du centre du pays depuis 2012. Au nord, les groupes djihadistes AQMI, Ansar Dine et MUJAO, réunis depuis 2017 au sein du mouvement « Groupe de Soutien à l’Islam et au Musulmans » sont toujours présents. C’est aussi le cas du MNLA, mouvement armé Touareg réclamant la libération de l’Azawad. Alors, les victimes toujours plus nombreuses d’attaques djihadistes au nord et de violences intercommunautaires au centre, se font entendre au sein de la fronde populaire actuelle.
Enfin, le gouvernement est sous le feu des critiques à la suite des dernières élections législatives. Elles ont été tenues en mars 2020, malgré la pandémie du COVID-19 et de nombreuses menaces de groupes armés planant sur le scrutin. Marquées par un très faible taux de participation, les élections ont été favorables au parti d’IBK et ont conduit à l’enlèvement du chef du parti d’opposition Soumaila Cissé, par un groupe armé dans la région de Tombouctou. Au cœur des critiques, les résultats du scrutin. Ils font l’objet de nombreuses contestations, exacerbant les revendications populaires actuelles. La Cour Constitutionnelle est accusée d’avoir modifié les résultats de trente-et-une localités, pour repêcher des candidats battus, dont certains du parti au pouvoir.
Alors, toutes ces revendications ont conduit à l’éclatement d’une contestation populaire demandant le départ du Président au pouvoir. Ces manifestations rassemblant des dizaines de milliers de personnes à Bamako et ailleurs. Elles sont dirigées par l’influent Mahmoud Dicko.
Les manifestants du « Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des forces patriotiques » restent toutefois ouverts au dialogue. Aujourd’hui, ils ne semblent plus insister sur le départ du président en place. En revanche, ils veulent mettre fin à la centralisation du pouvoir et à la main mise d’IBK sur l’appareil étatique. Un renouvellement total de la Cour Constitutionnelle est réclamé. L’institution est au cœur des critiques et quatre de ses neuf membres ont déjà démissionné. L’opposition souhaite également une dissolution de l’Assemblée Nationale et la nomination à sa tête d’un nouveau Premier Ministre qui partagerait le pouvoir avec IBK. La mise en place d’un nouvel organe législatif prêt à prendre de grandes réformes pour le pays serait une aubaine pour le peuple malien et pour la séparation des pouvoirs.
Nouvelles évolutions en ce dimanche 5 juillet, à la suite de la rencontre entre les groupes d’oppositions et le Président. Le Mouvement du 5 juin, réaffirme finalement sa volonté d’obtenir une démission pure et simple d’IBK, qu’ils accusent d’avoir ignorer leurs demandes. Le Président, de son côté, maintien ses appels à l’opposition de rejoindre le gouvernement d’union nationale proposé. De nouvelles manifestations sont attendues et le dialogue est à nouveau à l’arrêt.
Mahmoud Dicko : quelles ambitions politiques ?
En l’absence de personnalités politiques d’envergure dans l’opposition, l’imam Dicko se hisse comme la figure qui mobilise les foules populaires. Celui qui s’est imposé comme l’autorité morale du mouvement, réunis derrière lui différents groupes d’opposition. L’imam Dicko est une personnalité de premier plan depuis près d’une décennie. Aujourd’hui, ses ambitions politiques interrogent.
Né près de Tombouctou dans le nord du pays, Mahmoud Dicko étudie en Mauritanie et en Arabie Saoudite avant de prendre la tête d’une mosquée au sud de Bamako. Il y prêche un Islam traditionnel de l’Afrique de l’Ouest, intégrant des traditions maliennes pré-islamiques, loin des courants wahabistes les plus radicaux.
En 2009, il arrive sur le devant de la scène lorsqu’il est nommé président du « Haut Conseil Islamique du Mali » (HCIM), organisme créé par le pouvoir pour canaliser l’influence des prédicateurs sur la société civile.
En 2013, il soutient publiquement la candidature d’IBK à l’élection présidentielle. Ce dernier, qu’il considère comme un « ami », lui confie alors la lourde responsabilité de négocier avec plusieurs leaders djihadistes qui contrôlent la majorité du nord du pays, parmi lesquelles Iyad Ag Ghaly d’Ansar Dine et Amadou Koufa de la Katiba Macina. Ne trouvant aucune issue à la situation, Mahmoud Dicko, qui s’est toujours opposé à l’usage d’un Islam violent, a même encouragé l’intervention de la France au Mali.
Ses positions restent toutefois ambiguës. L’imam le plus influent du pays est très conservateur sur le plan social et moral. En 2015, après l’attentat du Radisson Blu faisant vingt-trois morts à Bamako, il affirme que le terrorisme est une punition divine contre l’homosexualité, importé au Mali par l’occident. En 2018, il monte également au créneau contre des manuels d’éducation sexuel, valorisant selon lui, l’homosexualité.
Quoi qu’il en soit, Mahmoud Dicko n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a déjà été l’un des leaders des manifestations d’avril 2019, qui ont mené à la démission du Premier Ministre Soumeylou Boubeye Maïga. Il arrive aujourd’hui à réunir dans son sillage une opposition hétéroclite, y compris de nombreux groupes totalement séculaires.
L’influence croissante acquise par l’imam inquiète l’occident, qui questionne ses ambitions politiques. En 2023, IBK se heurtera à la limite constitutionnelle et ne pourra briguer de troisième mandat. D’ici là, le très respecté Mahmoud Dicko pourrait se présenter comme l’un des candidats au poste suprême. Ces changements pourraient même se faire plus vite que prévu, dans un pays qui, par le passé, n’a pas toujours attendu les échéances. Alors, les occidentaux s’inquiètent. Pour eux, si l’imam Dicko arrive à se hisser à la tête de l’Etat, il tentera de modifier la constitution pour y intégrer les lois de la Shari’a et alors transformer la République Malienne en une République Islamique.
Toutefois, rien n’est moins sûr. Pour beaucoup, jamais l’imam ne quittera le minbar de sa mosquée pour le fauteuil de président. D’autres affirment que si cela arrive, plus personne au Mali ne l’acceptera comme autorité religieuse. Enfin, d’autres encore insistent sur le fait que Mahmoud Dicko a toujours fait appel au « génie du vivre ensemble Malien ». Durant les récentes mobilisations, il continue de veiller à utiliser son autorité morale pour condamner l’usage de la violence et beaucoup semble l’avoir écouté.
« Le problème Touareg » : origines et conséquences.
La crise socio-politique illustrée par les contestations actuelles s’explique aussi par des problèmes sécuritaires sous-jacents à l’histoire de la République Malienne. Depuis 2012, le Mali est frappé par des violentes attaques djihadistes au nord et des épisodes réguliers de violences intercommunautaires au centre. Ce contexte sécuritaire menace nécessairement la stabilité politique et le développement économique du pays, ainsi que la conduite de réformes sociales. Ce sont ces mêmes conditions de pauvreté, de corruption et d’absence de l’Etat dans certaines provinces qui nourrissent l’implantation de groupes armés dans la région.
Sur le long-terme, répondre à la fronde populaire actuelle ne sera alors possible qu’à travers l’apaisement des tensions sous-jacentes à la région et la résolution des conflits rythmant le quotidien du nord et du centre du pays. Ces tensions ne datent pas de 2012, mais ont une histoire plus longue. La compréhension de cette histoire est alors cruciale, pour que chaque acteur du conflit actuel prenne les mesures nécessaires à sa résolution. En prendre conscience, c’est comprendre que l’intervention militaire seule ne suffira pas à résoudre les problèmes du Mali. Ces tensions ont pris racines dans le « problème Touareg » et ont depuis connu plusieurs évolutions et déclinaisons – en voici une chronologie.
Les Touaregs sont un peuple de nomade présents dans les parties sud et centrales du désert du Sahara, ils représentent environ 1,7% de la population malienne (Kone, 2017 et Sidibé, 2017). Ignorant les frontières poreuses de la région, ils sont aussi présents au Maroc, au Niger, au Burkina, en Algérie, en Mauritanie et en Libye. S’ils vivaient au paravent plus au nord, ils sont chassés par les Arabes dans les régions qu’ils occupent actuellement. Le terme Touareg est un exonyme imposé par des anthropologues-explorateurs au XIXème siècle, qui peut être littéralement traduit par « oublié de Dieu » (Kone, 2017). Le terme regroupe effectivement des peuples oubliés, du moins, par le tracé des frontières coloniales.
Après avoir défait et soumis les populations Touaregs pendant la conquête du pays, la France s’appuie sur l’élite locale concentrée au sud du pays pour administrer le Mali, excluant dans le même temps, les populations vivant au nord. Pendant toute la période, la France n’a jamais fait l’effort de réintégrer les populations du nord au tissu social, économique et à la vie politique du pays. Les nomades Touaregs, sans attache profonde au territoire, sont davantage marginalisés (Keita, 1998).
La colonisation n’est toutefois pas la seule explication de l’exclusion des Touareg de la vie politique et sociale du pays. Des tensions entre les Touaregs et leurs voisins, les Peuls notamment, remontent même jusqu’au XVIIIème siècle (Kone, 2017). La compatibilité de ce groupe nomadique avec la République malienne fait alors l’objet de nombreuses interrogations.
Les Touaregs se revendiquent musulmans, comme la majorité de la population malienne, même s’ils intègrent à l’Islam de nombreuses pratiques hérétiques issues de leur culture pré-Islamique. Toutefois, la pratique commune de l’Islam n’a pas suffi aux Touaregs pour établir des relations sociales avec leurs voisins, notamment avec les Songhaïs, avec qui ils partagent pourtant de nombreux codes culturels.
Bien qu’ils se revendiquent d’une ethnicité commune, les Touaregs vivent dans une société très rigide, hiérarchisée et stratifiée par castes. Les catégories supérieures, souvent les plus claires de peau, exploitent le travail d’une majorité d’esclaves, souvent à la peau plus foncée (Kone, 2017). Les Touaregs ont également eu l’habitude d’extorquer des taxes et d’utiliser la violence pour voler du bétail à leurs voisins du sud. Pendant longtemps, leur mode de vie reposait sur la mise en esclavage des populations maliennes, plus foncées et donc considérée inférieures. Certains groupes continuent aujourd’hui de participer à des réseaux d’esclavage moderne au Soudan et en Libye notamment.
L’utilisation de concepts raciaux pour justifier la mise en esclavage et le travail forcé a nécessairement impacté les relations entre le groupe nomadique et le gouvernement malien (Kone, 2017). A l’indépendance, les tensions s’exacerbent. Le leadership Touareg ne veut pas intégrer la République malienne. Quant à lui, le gouvernement de Modibo Keita perpétue l’exclusion sociale politique et culturelle des Touaregs, ainsi que le non-respect de leur mode de vie et l’ignorance de leurs revendications territoriales. Si les Touaregs, plus clairs, se pensent supérieurs, les Maliens entretiennent également de nombreux préjugés raciaux à leur encontre. Selon eux, ils seraient fainéants, sujet à la violence et à la criminalité, opportunistes, chauvins et antipatriotes (Keita, 1998).
A la même période, la découverte d’or dans la région pousse certains leaders Touaregs à aider les pays frontaliers à établir leur assise sur la région, renforçant l’image négative qu’ils entretiennent auprès des nationalistes maliens.
Pour toutes ces raisons, dans le vent des indépendances, les Touaregs se mettent à rêver d’un territoire indépendant au nord du Mali, l’Azawad. Leur revendication territoriale n’est pas véritablement soutenue historiquement et est donc difficile à accepter pour beaucoup. Les Touaregs réclament en effet un territoire qui a successivement fait partie des Empires du Mali, du Ghana et de l’Empire Songhaï et qui ne serait donc pas leur propriété (Kone, 2017).
Les révoltes Touaregs : une histoire qui se répète.
A l’indépendance, la situation fragile du pays, qui hérite d’un système administratif infonctionnel et de politiques économiques et sociales impraticables, pousse les Touaregs, d’autant plus marginalisés, à la rébellion. Ils redoutent également une réforme agraire qui menacerait leur mode de vie nomade. En 1962, les Touaregs lancent des raids armés dans le nord du pays. Forte de 1500 hommes, cette première révolte pour la libération de l’Azawad n’est en aucun cas le fruit d’un commandement unifié. Elle n’est ni centralisée, ni réellement coordonnée et n’arrive pas à gagner le soutien de la population locale (Keita, 1998).
Face à une révolte sécessioniste menaçant l’intégrité de ses frontières nouvellement acquises, le gouvernement Malien, nouveau-né, réprime sévèrement cette rébellion. De nombreuses atrocités sont reportées, y compris à l’égard de civils innocents et non-armés. Sécuriser la souveraineté du pays indépendant depuis 1960 était la seule priorité du régime de Modibo Keita. Dès 1964, la révolte est contrôlée et le nord est placé sous une administration coercive stricte, causant l’exil de nombreux Touaregs dans les pays voisins. Beaucoup rejoignent la Libye, pour profiter de l’économie grandissante du pétrole, ou pour intégrer la Légion Islamique (ou Légion Verte) de Mouammar Kadhafi qui veut annexer le Tchad et qui s’engage dans de nombreux conflits régionaux (Keita, 1998).
Si la révolte est vite contrôlée, les revendications des Touaregs ne seront pas prises en compte par le gouvernement de Modibo Keita. Les Touaregs sont toujours discriminés, exclus, privés de ressources et sous le coup de mesures coercives. Ces conditions contribuent à aliéner de nombreux Touaregs qui n’avaient pourtant pas participé à la première révolte. L’explosion d’une seconde révolte Touareg au Mali n’est qu’une question de temps.
Celle-ci éclate dès 1990, dans un contexte de fortes sécheresses menaçant les Touaregs et leur mode de vie. S’ajoute à ces facteurs environnementaux le démantèlement de la Légion Islamique et l’effondrement de l’industrie pétrolière Libyenne, provoquant le retour massif de jeunes Touaregs dans les régions nord du Mali. Ils reviennent désespérés, sans emploi avec une expérience militaire considérable. Depuis l’indépendance, leurs revendications sont toujours ignorées. Les Touaregs prennent à nouveau les armes (Keita, 1998). Pendant la guerre froide, celles-ci prolifèrent dans la région, théâtre de la multiplication de conflit par procuration entre les deux blocs. Les frontières poreuses du Sahara ne facilitent pas le contrôle et rendent la vie belle aux trafiquants de la région. Aujourd’hui encore, l’évolution de la situation Libyenne est cruciale pour comprendre la dynamique des conflits armés au Sahel et notamment au Mali. La chute du régime de Kadhafi en 2011 et l’instabilité totale qui règne en Libye depuis, est considérée pour beaucoup comme l’une des raisons principales expliquant la persistance du conflit malien actuel.
À la suite de la deuxième rébellion qui éclate en 1990, le gouvernement déclare l’état d’urgence et prend des mesures anti-insurrectionnelles très répressives. Toutefois, le gouvernement Traoré, successeur de Modibo Keita, prend conscience que la réponse militaire ne suffira pas. Les accords de Tamanrasset sont signés en 1991, avec la médiation de l’Algérie, qui a tout intérêt à rétablir le calme dans la région.
En mars 1991, le gouvernement Traoré est renversé, l’élection d’Alpha Oumar Konaré menace les accords de Tamanrasset. Néanmoins, le Pacte Nationale est signé l’année suivante à Bamako et reprend la majorité des mesures prévues dans les accords de 1991, parmi lesquelles : l’intégration des anciens insurgés dans l’armée et le gouvernement national Malien, la création d’une hiérarchie de conseils locaux et régionaux avec une réelle décentralisation du pouvoir, l’allocution de ressources pour le développement national et la création de différentes commissions visant à superviser la mise en œuvre du pacte (Keita, 1998).
Jusqu’à aujourd’hui, le non-respect des accords de paix, le manque de ressources, la perpétuation de l’exclusion des Touaregs, la mauvaise redistribution des richesses et le manque d’autonomie des régions du nord sont tant de problèmes qui ne semblent pas avoir été résolus par les gouvernements successifs.
Le problème Touareg persiste et rien ne semble faire évoluer le statu-quo : ni la troisième rébellion Touareg qui éclate en 2007 lorsque 150 officiers Touaregs intégrés à l’armée malienne quittent leurs postes demandant la complète mise en œuvre du Pacte Nationale ; ni les nombreuses promesses d’Ahmadou Toumani Touré, arrivé au pouvoir en 2002, de financer enfin le développement du nord Mali.
Le tournant de 2012 : l’arrivée des groupes djihadistes dans la région.
En 2012 éclate la quatrième rébellion Touareg, de loin la plus complexe d’un point de vue géopolitique. Dans le nord, différents groupes djihadistes viennent se joindre au groupe armé Touareg séculaire du MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad). L’arrivée de groupes terroristes tel que AQMI, Ansar Dine ou MUJAO dans la région, profitant de l’effondrement du régime Libyen, de la porosité des frontières du Sahel et du financement soupçonné des pays du Golf témoigne de la nouvelle dynamique prise par la crise malienne. Ces groupes bénéficient de réseaux internationaux, mais s’appuient sur des revendications locales pour prospérer (Kone, 2017). Ces revendications locales sont souvent ignorées ou mal interprétées par les puissances occidentales, arrivées dans la région pour faire face à la menace djihadiste. Cette menace est perçue comme visant principalement l’occident et son mode de vie dans le contexte de la lutte contre le terrorisme international. C’est cette dynamique qui a amené la France, à intervenir militairement au Mali. Le G5 Sahel, créé en 2014 pour faire face à la menace terroriste et la CEDEAO sont deux puissances régionales sur qui il faut également compter. Enfin, les Nations Unies sont également présentes au Mali depuis 2013 et le déploiement de la MINUSMA. Les populations locales, bloquées entre groupes sécessionnistes, djihadistes, armée malienne et intervention internationale s’organisent elles aussi en milices d’auto-défense, exacerbant les tensions ethniques et plongeant le pays dans un conflit qui s’enlise.
Cette quatrième rébellion débute, lorsqu’en janvier 2012, des combattants Touaregs sécessioniste du MNLA (Mouvement National de Libération de l’Azawad) attaquent des camps militaires de l’armée malienne dans trois localités au nord du Mali. Très lourdement armé et bénéficiant du soutien d’Ansar Dine – groupe djihadiste affilié à AQMI et dirigé par le rebelle Touareg Ag Ghali – le MNLA impose de lourdes défaites militaires à l’armée malienne, mal équipée. Si les relations entre les deux groupes sont d’abord ambigües et parfois réfutées par les leaders du MNLA, de nombreux rapports font l’état de la coordination de leurs raids militaires.
Dans la nuit du 21 au 22 mars, une partie de l’armée renverse le gouvernement d’Amadou Toumani Touré à Bamako. La junte dirigée par Amadou Haya Sanogo suspend la Constitution et dénonce l’incapacité totale du gouvernement de donner les moyens nécessaires à l’armée pour défendre l’intégrité du territoire et défaire les groupes rebelles.
Début avril, les rebelles du MNLA, allié à Ansar Dine et AQMI contrôlent le nord du pays, dont les villes de Gao, Kidal et Tombouctou. Ces groupes sont présents dans la région depuis l’effondrement du régime Libyen, qui était alors une force stabilisatrice dans le Sahel. Pour un certains nombres d’experts, l’assise territoriale acquises par ces groupes, qui détiennent plus de 650 000km² au nord du Mali n’a été possible que grâce à des soutiens extérieurs, venant de l’Algérie et/ou de la Mauritanie. Ils sont également suspectés d’être financé par plusieurs pays du Golf (Kone, 2017). Pendant ce siège, qui s’apprête à durer plus d’un an, de nombreuses exactions et violations des droits humains sur les populations civiles sont reportées, par différentes organisations internationales.
A cette période des tensions naissent entre les différents groupes. Ansar Dine et AQMI, qui semblent prendre le dessus sur le MNLA à Tombouctou, ont pour objectif de gagner le sud du Mali et d’imposer les lois de la Shari’a sur l’ensemble du territoire. Le MNLA, quant à eux, tiennent à se distinguer des groupes djihadistes. Ils ne revendiquent pas le sud du pays et annoncent donc mettre fin aux combats militaires (Diallo, 2017). Le 6 avril, le MNLA proclame l’indépendance de l’Azawad, qui sera un Etat laïc. Cette déclaration unilatérale est immédiatement rejetée par l’Union Africaine et la communauté internationale.
La situation prend une nouvelle tournure le 27 juin, quand le MUJAO, groupe djihadiste dissident d’AQMI et Ansar Dine affronte directement le MNLA, pour la première fois. En une journée, les rebelles du MUJAO renversent le siège des rebelles Touaregs à Gao et les chassent de la ville, qu’ils contrôlent désormais exclusivement. Dans le reste du nord, AQMI, Ansar Dine et le MUJAO, qui ont désormais pris le dessus sur le MNLA, appliquent une imposition progressive de la Shari’a sur les populations locales. Les conséquences humanitaires sont désastreuses et poussent des dizaines de milliers de civils à fuir se réfugier vers le Niger. A la fin de l’été 2012, les différents groupes djihadistes présents dans la région et lourdement armés avancent vers le sud.
Dans un dynamique de lutte contre le terrorisme international, la France perçoit ces différents groupes djihadistes comme étant une menace directe pour l’occident. En janvier 2013, François Hollande déploie l’opération Serval, en soutien de l’armée malienne, pour reprendre contrôle sur le territoire et stopper l’avancée des groupes djihadistes vers le sud. La France, en plus de s’inscrire dans la lutte contre le terrorisme international défend ses intérêts dans la région, du fait de son importante participation à l’extraction d’or au Mali.
Dès le 13 juillet 2014, la France annonce que l’opération a atteint son objectif, ayant permis à l’armée malienne de retrouver un contrôle relatif du pays. Celle-ci sera intégrée le 1er aout au sein de l’opération Barkhane, nouveau dispositif régional afin d’assurer la sécurité dans tout le Sahel. Malgré les succès militaires affichés, la situation n’est pas totalement stabilisée au nord Mali et certains groupes restent très bien implantés, aujourd’hui encore.
Mopti-Ségou : l’intensification des violences intercommunautaires au centre.
De plus, les violences semble aujourd’hui avoir basculées vers les régions centrales de Mopti et de Ségou, où la présence prolongée de groupes armés a bouleversé les relations entre les différentes communautés. En effet, dans ces régions qui ont été le théâtre d’affrontements entre l’armée malienne et les groupes djihadistes, plusieurs dynamiques ont contribué à exacerber les tensions déjà existantes pour l’accès aux pâturages entre fermiers et éleveurs, dans une région ethniquement très diverse.
Les revendications territoriales des Touaregs du MNLA, sur le nord du Mali, alors qu’ils ne constituent que l’infime minorité des populations y habitant, ont fait naître de nombreuses tensions. Les autres groupes résidant dans ces régions, rejetant la sécession, se sont alors mobilisés pour défendre leurs intérêts et s’opposer à l’hégémonie en devenir des Touaregs dans l’Azawad. Si certains, notamment les Peuls, ont rejoint les rangs du MUJAO, d’autres ont formé leurs propres milices d’auto-défense, défendant leurs intérêts et revendications tout en se protégeant contre les pillages et nombreuses violations des droits humains dont ils étaient victimes.
Pour les populations locales, former un groupe d’auto-défense était également perçu comme le seul moyen de faire entendre ses revendications et de participer à la tenue d’un éventuel accord, dans une région qui reste marginalisée politiquement. Souvent formés sur la base de l’ethnicité, ces groupes ont bénéficié de la prolifération d’armes dans la région et les tensions sont devenues plus violentes. De surcroît, certaines de ces milices notamment issues d’ethnies Dogon ou Bambara, ont servi d’auxiliaire au gouvernement malien dans sa lutte contre les groupes terroriste de la région. A l’inverse, certaines milices ethniques étaient, elles, instrumentalisées par les djihadistes, contre le gouvernement et ses alliés (Diallo, 2017).
Dans le sillage de l’armée française, le retour des forces gouvernementales sur la région n’a pas été sans conséquence. Si elle a permis de libérer une grande partie de la population civile, elle a également fait naître de nouvelles tensions. La répression sévère envers les terroristes et leurs alliés désignés a conduit à des vagues d’emprisonnement et d’exécutions arbitraires. Amalgamant toutes les populations d’éleveurs et associant tous les Touaregs et Peuls à des groupes terroristes, de nombreux civils innocents en ont fait les frais. Alors, une partie de la population du nord et du centre, a totalement perdue confiance en son gouvernement et en sa capacité à mettre fin au banditisme, se tournant davantage vers certains groupes armés, capable d’assurer la sécurité dans ces régions oubliées. (Diallo, 2017).
Ces revendications locales, totalement ignorées par la communauté internationale comme causes sous-jacentes des violences intercommunautaires ont, en revanche, parfaitement été prise en compte par les différentes groupes djihadistes. En protégeant les populations les plus marginalisées, leurs propriétés et leurs bétails, les groupes terroristes s’érigent comme une alternative crédible à l’Etat et gagnent ainsi en influence au sein des populations locales. Ces populations souffrent de l’abandon de l’Etat et de l’absence totale de politiques sociales depuis bien trop longtemps. La Katiba Macina, antenne locale d’Ansar Dine prend parfaitement l’avantage de ces tensions préexistantes entre fermiers sédentaires et éleveurs nomades pour le contrôle de la terre et construit sur les affinités locales et ethniques pour servir ses propres intérêts (Diallo, 2017).
Par conséquent, si l’instrumentalisation de l’ethnicité est un élément central, les violences intercommunautaires frappant le centre du Mali ne peuvent pas être simplement appréhendées comme des violences ethniques entre éleveurs Peuls et fermiers Dogons ou Bambara (Diallo, 2017). Les violences sont multidimensionnelles et bien qu’elles soient résultantes de groupes internationalisés, elles se nourrissent de revendications inhéremment locales, trop souvent minimisées.
Et maintenant ? Réaction internationale et sortie de crise.
La réaction internationale, inscrite dans de lutte contre le terrorisme international, insiste sur la solution militaire et néglige la nécessité de résoudre les facteurs créant l’insécurité constante de la région. Pour la majorité des experts, la stratégie militaire ne peut être, qu’au mieux, une stratégie de court terme, préalable à la mise en place d’un plan de résolution sur le long terme (Kone, 2017). Ce plan devra être mis en place plus rigoureusement que les accords de paix qui se sont succédé par le passé. Dernier en date, la promesse des Accords d’Alger, signés en 2015 et déjà décriés pour leur inefficacité par la fronde populaire actuelle, Mahmoud Dicko en tête.
La réaction internationale se doit également d’outrepasser le discours décontextualisé de la violence islamiste au Sahel. Ce discours construit sur des malentendus et des interprétations biaisées, réduit les différents groupes à une entité unique, catégorisés comme concentrés à l’international, sur des cibles occidentales. Alors, ce narratif obscurcit la compréhension des différents groupes et de leurs actions spécifiques, il brouille l’analyse des moteurs locaux du conflit et des conditions dans lesquelles ces groupes émergent. Enfin, il fait davantage croire en l’obligation de mettre en place des interventions extérieures, qu’en la nécessite de résoudre les conditions sous-jacentes de ces insurrections. Il débouche sur des stratégies de résolution inévitablement non-opérationnelles, ne répondant pas à la réalité de la situation (Dowd et Raleigh, 2013). L’enlisement de l’opération Barkhane, ou l’incapacité du G5 Sahel à prévenir les massacres, huit ans après le début de l’insurrection, illustrent le caractère incomplet de la réponse militaire.
Le 30 juin dernier, s’est tenu le sommet du G5 Sahel dans la capitale mauritanienne, en présence du Président français. La situation malienne, ainsi que celle du Burkina Faso et dans une moindre mesure celle du Niger, où sera élu un nouveau président cette année, était au cœur des préoccupations. L’ensemble du groupe a appelé d’urgence à apaiser la situation et à encourager toute entreprise de médiation entre le Président et le groupe d’opposition, dans une situation qui pourrait avoir des répercussions dans l’ensemble du Sahel.
Dans le même temps, le Président Français a réaffirmé que la « victoire était possible » au Sahel. Si la présence militaire semble nécessaire pour établir de la stabilité et secourir les populations civiles, la « victoire » au Sahel ne sera possible qu’en s’occupant des situations sous-jacentes qui nourrissent un conflit vieux d’un demi-siècle. Sortir du discours décontextualisé, c’est comprendre cette nécessité.
Aujourd’hui, avec l’accélération croissante du réchauffement climatique, des réformes sont attendues en profondeur, pour résoudre un conflit qui se nourrit principalement des tensions pour le contrôle des ressources, déjà rares au nord du Mali. Si le gouvernement d’IBK veut sortir grandi de la contestation sociale actuelle, il convient de mettre fin à la corruption systémique, à la crise du service public, et redresser l’économie du pays. Il serait également nécessaire d’adresser les revendications sociales des groupes les plus marginalisés et de résoudre les tensions ethniques qui perdurent depuis la colonisation. Enfin, il est impératif de veiller à une répartition plus juste des richesses et des ressources tout en veillant à apaiser les tensions communautaires au centre du pays. Concrètement, il serait judicieux de veiller à laisser plus de place à l’opposition et mettre en œuvre une décentralisation plus forte du pouvoir. Au centre du pays, il semble primordial d’arrêter de supporter des milices au profit d’autres, pour favoriser la création de groupes interethniques assurant la sécurité des civiles (Diallo, 2017). Si toutes ces solutions sont bien connues des acteurs, il faudra veiller à les appliquer rigoureusement et à les traduire par des mesures concrètes et opérationnelles, correspondant à la réalité du terrain. Les puissances internationales doivent également prendre conscience de leurs responsabilités et arrêter déstabiliser la région à la poursuite de leurs intérêts personnels. A ces conditions seulement, la « victoire » sera possible au Mali.
Article rédigé par Jules DUMAS, stagiaire à l’AISP/SPIA et membre de l’Académie Internationale de la Paix.
BIBLIOGRAPHIE :
- Kalifa Keita (1998) Conflict and conflict resolution in the Sahel: The Tuareg insurgency in Mali, Small Wars & Insurgencies, 9:3, 102-128.
- Ousmane Aly Diallo (2017) Ethnic Clashes, Jihad, and Insecurity in Central Mali, Peace Review, 29:3, 299-306.
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SITOGRAPHIE :
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- https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/06/26/mali-comment-l-imam-mahmoud-dicko-est-devenu-la-figure-de-proue-de-l-opposition_6044326_3212.html
- https://af.reuters.com/article/commoditiesNews/idAFFWN2E606H
- https://www.crisisgroup.org/africa/sahel/mali/laccord-dalger-cinq-ans-apres-un-calme-precaire-dont-il-ne-faut-pas-se-satisfaire
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