L’Afghanistan a rarement connu la paix. La multitude de reliefs montagneux favorise pendant de nombreux siècles une organisation des populations sous forme de tribus guerrières rivales ou alliées selon la conjoncture du moment. Les conflits deviennent particulièrement récurrents à partir du XIXe siècle à l’intérieur même du pays. La majorité des pays comparables sur le plan géographique (Maghreb, Moyen-Orient) ont progressivement connu une centralisation de leur pouvoir dans la ville capitale où le commerce et les moyens de communication étaient plus développés. Mais l’Afghanistan fait figure d’exception. Il connait effectivement un destin singulier du fait de la rivalité de différentes puissances dans la région ; l’Empire britannique face à l’Empire Russe du XIXe au XXe siècle puis les Etats-Unis face à l’URSS à partir de 1945.
Dès le début du XIXe siècle, l’Empire Britannique et l’Empire de Russie cherchent à s’emparer de la position stratégique que constitue l’Afghanistan. D’une part les britanniques souhaitent étendre l’Empire des Indes et conforter leur position dans la région et d’autre part les russes cherchent à accéder à l’océan Indien. Les deux empires ont bien conscience qu’un conflit direct les affaiblirait, d’autant plus que l’Afghanistan serait un pays très difficile à contrôler du fait de la multitude de tribus guerrières existant dans les montagnes. Elles décident donc d’un commun accord de faire de l’Afghanistan une « zone tampon » délimitant leur deux empires coloniaux et de désigner un roi arrangeant et bien perçu par une majorité de la population (le peuple Pachtoun notamment)[1]. Le pays reste relativement indépendant sur le plan de la politique intérieure de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. Le renforcement d’un quelconque pouvoir central n’a donc pas eu lieu et l’Afghanistan a préservé ses traditions tribales très tardivement.
C’est à partir des années 1945 que le pays commence à se « moderniser »[2]. Les Etats-Unis et l’URSS sont officiellement chargés par l’ONU de construire des routes respectivement au Sud et au Nord du pays. Dans un contexte de guerre froide, les deux puissances ont des intérêts à étendre leur influence en Afghanistan en participant au développement économique du pays. Ce dernier profite donc de la rivalité des deux blocs en bénéficiant d’aides financières à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars.[3] Néanmoins ces aides ont principalement pour but de rendre redevable et dépendant l’Afghanistan qui s’endette durablement.
Progressivement, l’URSS accroît son influence dans le pays. Face à des Américains qui concentrent leurs actions en Iran, les soviétiques profitent d’une plus grande marge de manœuvre et parviennent à implanter deux partis communistes dans le pays au début des années 1970. En 1978 les Afghans communistes parviennent à prendre le pouvoir à Kaboul et fondent la République démocratique d’Afghanistan. Les dirigeants communistes veulent rapidement limiter l’influence de l’Islam dans le pays. Les réformes communistes sont durement appliquées mais leurs ambitions sont freinées par les révoltes de tribus guerrières et de la population. L’URSS décide donc d’envoyer l’Armée Rouge occuper le pays pour protéger les techniciens soviétiques et leur famille. Elle doit alors faire face aux nombreux rebelles afghans, principalement des moudjahidines, qui profitent des aides financières et des armes fournies par les Etats-Unis et les pays du golfe par l’intermédiaire du Pakistan qui voient d’un mauvais œil cette percée rouge. Des volontaires arabes provenant principalement d’Arabie Saoudite participent à l’approvisionnement des rebelles en armes. Parmi ces volontaires se trouve Oussama Ben Laden, membre d’une richissime famille saoudienne.
L’armée soviétique décide finalement de se retirer en 1988 et laisse à la tête de Kaboul un gouvernement communiste modéré. En l’absence d’ennemi commun, les rebelles mettent fin à leur union de façade et une guerre civile éclate entre les différentes factions mais également entre les différentes populations qui composent le pays[5]. Les partis politiques financés par l’Arabie Saoudite et les Emirats du Golfe participent fortement à ce regain de tension qui atteindra son paroxysme en 1994 avec l’arrivée des Talibans.
Le Pakistan joue un rôle important dans l’implantation des talibans en Afghanistan. Ces derniers sont principalement formés dans des centres de théologie et des couvents situés au Pakistan. Situé entre l’Inde et l’Afghanistan, le Pakistan cherche à étendre ses frontières vers l’Asie centrale pour résister à la pression de l’Inde avec qui il est en conflit depuis 1947. Les talibans parviennent donc rapidement à s’imposer en Afghanistan[6] avec l’aide de l’armée pakistanaise et le soutien des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite. Ces trois protagonistes ont en commun le projet de créer un gazoduc pour exporter les hydrocarbures d’Asie centrale par L’Afghanistan et le Pakistan au détriment de la Russie. Les talibans sont bientôt rejoints par Ben Laden suite au conflit qui l’opposa à la dynastie Saoudienne[7]. Il fonde alors avec l’accord du mollah Omar, l’émir des talibans, des centres de formation et d’entraînement pour des volontaires d’Al-Qaïda qui participeront en 2001 à l’organisation des attentas visant le World Trade Center.
Les attentats du 11 Septembre 2001 signent le début de l’une des plus longues guerres des Etats-Unis. L’ONU estime que 30 000 à 60 000 civils afghans auraient perdu la vie pendant le conflit. Le 29 Mars 2020 les Etats-Unis et les Talibans signent un accord historique à Doha qui prévoit notamment le retrait des troupes américaines sous 14 mois et l’arrêt des attaques talibanes. Mais quelques jours seulement après la signature de l’accord, les affrontements entre les deux camps ont déjà repris, repoussant une nouvelle fois l’espoir d’une paix durable dans le pays.
[1] Groupe ethnique dominant de l’Afghanistan, les Pashtouns qui parlent le pashto, sont établis surtout au sud et à l’est du pays ainsi que dans la province du Nord-Ouest du Pakistan. Ils sont aujourd’hui environ 19 millions en Afghanistan.
[2] Le pays était considéré par l’ONU et d’autres organisations internationales comme en retard du point de vue des infrastructures, des services de santé et d’éducation.
[3] De 1962 à 1967 la participation russe représente 65 % du total des aides (229 millions de dollars) contre 23 % pour les Etats-Unis (82 millions) et 9 % pour l’Allemagne fédérale (31 millions).
[4] Les mollah sont des chefs religieux de l’Islam chiite.
[5] Les Afghans chiites sont notamment opprimés par les Afghans sunnites majoritaires dans le pays.
[6] Ils fondent en 1996 l’Emirat Islamique d’Afghanistan
[7] Pendant la guerre du Golfe l’Arabie Saoudite a accueilli sur son sol plusieurs bases américaines pour lutter contre l’armée de Sadam Hussein qui venait d’annexer le Koweït. Ben Laden considérait la présence des américains comme une trahison et exigea leur départ à la fin de la guerre sans succès.
Rédigé par Antoine ENEL
BIBLIOGRAPHIE
Lacoste, Yves. Chapitre 21 – L’Afghanistan : un conflit d’importance mondiale. Armand Colin, 2011.
Roy, Olivier. « Avec les talibans, la charia plus le gazoduc ». Le Monde diplomatique, 1 novembre 1996
Vermont, René. « L’Afghanistan face à l’URSS et aux Etats-Unis ». Le Monde diplomatique, Août 1967
Le Point. « La guerre en Afghanistan en chiffres ». 21 février 2020
Le Monde. « Signature d’un accord historique entre les Etats-Unis et les talibans après 18 ans de guerre ». 29 février 2020.
Crédit image : D’après Lacoste Y., 2006, Géopolitique, la longue histoire du monde, Paris, Larousse.